La Semaine Juridique Entreprise et Affaires, 22 décembre 2016, n° 1684
Pierre Alfredo
Maître de conférences à la faculté de droit de Montpellier
Avocat au barreau de Montpellier
6. - À l'étranger, paie quand il te plaît ! - Des usages qui priment sur une loi de police, voici l'enseignement qui peut être tiré de l'avis rendu par la Commission d'examen des pratiques commerciales le 16 juin 2016 (CEPC, avis n° 16-12, 24 juin 2016 ; JCP E 2016, act. 592), si même il faut relever d'emblée que c'est par le détour d'une convention internationale, qui, conformément à l'article 55 de la Constitution, a une autorité supérieure à celle des lois. La question posée à la CEPC cherchait à savoir si les délais plafond pour le paiement des factures entre professionnels prévus par l'article L. 441-6, I, alinéa 9 du Code de commerce, reconnu loi de police par un précédent avis (CEPC, avis n° 16-1, 16 janv. 2016 : JCP E 2016, act. 186), sont applicables à un contrat de vente internationale de marchandises soumis à la loi française sans que soit écartée la Convention de Vienne du 11 avril 1980 sur la vente internationale de marchandises. Celle-ci laisse en effet les parties libres de fixer comme elles l'entendent la date de paiement (art. 59), sans la contrainte d'un quelconque plafond, et fixe des règles supplétives (art. 58), qu'elle écarte elle-même pour donner priorité aux usages (art. 9). Un acheteur français peut-il par conséquent obtenir valablement d'un vendeur étranger des délais de paiement supérieurs à 60 jours à compter de la date d'émission de la facture, la Convention de Vienne l'exonérant des dispositions de l'article L. 441-6, I, alinéa 9 du Code de commerce ? La doctrine est divisée. Certains auteurs privilégient la Convention de Vienne (A. Garnier, C. Baudouin, Réforme des délais de paiement - Mode d'emploi à l'usage des praticiens : JCP E 2009, 1445), et le ministre du Commerce extérieur partage ce point de vue (Rép. min. n° 22748 : JOAN Q 30 juill. 2013, p. 8237 ; Rép. min. n° 22749 : JOAN Q 1er juill. 2013, p. 5509) ; d'autres considèrent au contraire que la question échappe au champ matériel d'application de la convention, en sorte que l'article L. 441-6, I, alinéa 9 trouverait à s'appliquer (P. Schlechtriem, Cl. Witz, Convention de Vienne sur les contrats de vente internationale de marchandises : Dalloz, 2008, n° 53. - Cl. Witz, chron. de droit uniforme de la vente internationale de marchandises, juill. 2013-déc. 2014 : D. 2015, p. 881). La CEPC a estimé pour sa part que la question du moment du paiement entre bien dans les « matières régies » par la convention, mais que la question des délais n'est pas « expressément tranchée » par elle, si bien qu'il s'agirait d'une lacune interne qui doit être comblée par les principes généraux dont s'inspire la convention, ainsi qu'en dispose son article 7-2. Elle a recours alors au principe d'autonomie, qui permet d'écarter le plafond de l'article L. 441-6, I, alinéa 9, mais, en balancier, appelle aussitôt celui de bonne foi, qui n'autorise pas l'acheteur à bénéficier de délais de paiement excessifs au regard des pratiques habituelles. Elle estime par ailleurs qu'au sein de l'Union européenne sont souhaitables une interprétation et une application de la convention conformes à la directive 2011/7/UE concernant la lutte contre les retards de paiement dans les transactions commerciales (refonte de la directive 2000/35/CE), qui prohibe les clauses constituant un abus manifeste à l'égard du créancier, au regard notamment des bonnes pratiques et des usages commerciaux (PE et Cons. UE, dir. 2011/7/UE, 16 févr. 2011, art. 7, pt 1 : JOUE n° L 48, 23 févr. 2011, p. 1). C'est ainsi que la CEPC conclut que les contrats de vente relevant de la Convention de Vienne ne sont pas soumis au plafond des délais de paiement prévu par l'article L. 441-6, I, alinéa 9 du Code de commerce, tandis qu'elle considère aussi que les délais convenus ne devraient pas traduire un écart manifeste par rapport aux bonnes pratiques et usages commerciaux, contraire à la bonne foi et à un usage loyal, compte tenu de la nature du produit. À l'étranger, paie quand il te plaît... si tu respectes les usages.