1. Les règles de conflit
En
présence d'un contrat international, il convient en premier lieu
d'identifier la loi du contrat, et le juge compétent (qui, outre le
lieu, décidera des orientations jurisprudentielles) en cas de conflit.
En
matière de commerce communautaire, les parties sont admises à choisir à
la fois la loi applicable (convention de Rome du 19 juin 1980, art. 3,
applicable aux relations franco-espagnoles en vertu de la convention
d'adhésion de l'Espagne et du Portugal de Funchal du 18 mai 1992) et le
juge compétent en cas d'éventuel conflit (convention de Bruxelles du 27
septembre 1968, art. 17, également applicable aux relations
franco-espagnoles en vertu de la convention d'adhésion de l'Espagne et
du Portugal de San Sebastian du 26 mai 1989), même lorsque l'acheteur
n'est pas commerçant. Le droit français interdit au contraire dans ce
dernier cas les clauses attributives de compétence (art. 48 du NCPC).
Le conflit de lois
Ainsi,
la loi espagnole sera applicable au contrat de vente de marchandises
franco-espagnol, lorsqu'une clause du contrat le stipulera en écartant
expressément (la seule désignation du droit interne étant considérée
comme insuffisante) l'application du droit uniforme. A défaut de clause,
la convention de Rome du 19 juin 1980 (art. 4) désigne la loi du pays
de la partie qui doit fournir la prestation caractéristique du contrat ;
dans le contrat de vente, celle du vendeur. La même solution est
proposée par la convention de La Haye du 15 juin 1955 sur la loi
applicable aux ventes à caractère international d'objets mobiliers, en
sorte que le débat sur le conflit entre les deux conventions, qu'il soit
ou non réglé par l'article 21 de la convention de Rome, ne présente pas
ici d'intérêt pratique majeur. La loi espagnole a donc vocation à
s'appliquer lorsque le vendeur est espagnol. Cependant, depuis le 1er
août 1991, la convention de Vienne (Nations unies) du 11 avril 1980
portant loi uniforme sur les contrats de vente internationale de
marchandises, est applicable à l'Espagne qui y a adhéré le 24 janvier
1991. Le contrat de vente franco-espagnol obéira donc, à défaut de
clause contraire, ni au droit espagnol, ni au droit français de la
vente, mais au régime uniforme prévu par la convention de Vienne, la loi
interne désignée par la règle de conflit s'appliquant cependant à titre
subsidiaire pour les questions non résolues par la convention de
Vienne, questions qui ne sont nullement marginales (validité du contrat,
prescription, transfert de propriété, réserve de propriété...).
Néanmoins, si le commerçant français agissait à travers une filiale
espagnole, la société étant espagnole malgré son contrôle étranger, le
contrat ne serait plus considéré comme international, et serait soumis
au seul droit interne espagnol.
Le conflit de juridictions
La
compétence juridictionnelle est réglée par la convention de Bruxelles
du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution
des décisions en matière civile et commerciale. L'article 17 exige que
les clauses attributives de compétence soient conclues par écrit ou
verbalement avec confirmation écrite. Si le commerçant français n'agit
pas à titre occasionnel, mais comme distributeur habituel ou client
habituel d'une entreprise espagnole, il lui faudra être attentif aux
clauses des conditions générales de vente de son cocontractant imprimées
au verso des commandes, bons de livraison, factures... En effet, la
CJCE a dégagé la notion de "rapports commerciaux courants", qui, en
présence de relations habituelles d'affaires, pourrait conduire à
admettre la validité d'une clause attributive de juridiction figurant
dans les conditions générales de vente imprimées sur les documents
commerciaux (Segoura, 14/12/ 76, aff. 25/76 ; Tilly Russ 19/06/1984,
aff. 71/83). A défaut de clause, le demandeur pourra choisir entre le
tribunal du lieu de résidence du défendeur (art. 3) et celui du lieu
d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande (art. 5) ; le
tribunal compétent sera donc différent, non seulement selon la partie
requérante, mais encore selon sa demande. Ainsi, si un Français achète à
un Espagnol et que la livraison se fait en France, il pourra saisir son
propre tribunal des litiges nés de l'exécution de l'obligation de
livraison. Il pourrait cependant, même si l'on préfère généralement
plaider devant "son" juge, opter pour le tribunal espagnol (lieu de
résidence du défendeur), afin d'éviter une deuxième procédure en Espagne
(en exequatur) pour y exécuter la décision française. Si un Français
vend à un Espagnol et que le litige porte sur le paiement du prix, la
solution est plus complexe. Il s'agit en effet de rechercher, non le
lieu d'exécution du contrat, mais celui d'exécution de l'obligation qui
sert de base à l'action, c'est à dire, dans cette hypothèse, le lieu du
paiement. Or celui-ci, selon une jurisprudence constante de la CJCE
(Tessili, 6/10/76, aff. 12/76) doit être défini conformément à la loi
qui régit l'obligation litigieuse selon les règles de conflit de la
juridiction saisie. Si le Français saisit sa juridiction, on lui
opposera la loi française (loi du débiteur de la prestation
caractéristique du contrat) qui tient le paiement pour quérable, en
sorte que la juridiction de l'acheteur espagnol serait seule compétente.
Mais la CJCE a considéré que la loi applicable à l'obligation
litigieuse pouvait éventuellement inclure une convention portant loi
uniforme (Custom made commercial Ltd c/ Stawa Metallbau GmbH, 29/06/94,
aff. C 288/92). Or, la loi française inclut la convention de Vienne qui
retient un paiement portable, désignant ainsi par ricochet non plus la
juridiction espagnole, mais la française. Position qui rencontre la
résistance de certaines juridictions et la critique d'une partie de la
doctrine la plus autorisée (H. Gaudemet-Tallon, Les conventions de
Bruxelles et de Lugano, Montchrestien, LGDJ, 2e éd. 1996, n. 175).
2. Le droit interne espagnol de la vente
-
Les textes : Le droit commun espagnol de la vente est fixé par les
articles 1445 à 1525 du code civil, les articles 325 à 345 du code de
commerce étant spécifiques à la vente commerciale. Aux termes de
l'article 325 du code de commerce "sera commercial l'achat de choses
meubles pour les revendre...dans un but lucratif". L'Espagne retient une
définition objective de la vente commerciale, comme de l'acte de
commerce en général, en sorte que contrairement au droit français (et ce
malgré les intentions du code napoléonien), l'acte est commercial par
lui-même, non parce qu'en est l'auteur un commerçant.
-
Si la preuve est libre en droit commercial français, elle est au
contraire plus stricte en Espagne en droit commercial qu'en droit
commun, l'article 51 du code de commerce interdisant la preuve
exclusivement testimoniale de l'existence d'un contrat commercial.
-
Dans le mécanisme juridique opérant le transfert de propriété se trouve
sans doute la différence la plus notable avec le droit français ; dans
ce dernier, le transfert intervient solo consensu. Il convient de
rappeler que lorsque le vendeur est espagnol, et sauf clause contraire,
la loi espagnole interne sera celle du contrat sur ce point particulier
non résolu par la convention de Vienne, le vendeur étant débiteur de la
prestation caractéristique du contrat. En droit espagnol, le transfert
du droit est subordonné à la remise de la chose vendue (art. 609 et 1095
c. civ.). La nuance n'est pas seulement académique, puisque le
transfert des risques suit celui de la propriété, res perit domino (art.
331 c. com.). Aux termes de l'article 1583 du code civil français, "la
propriété est acquise de droit à l'acheteur... dès qu'on est convenu de
la chose et du prix, quoique la chose n'ait pas encore été livrée ni le
prix payé". Ainsi, l'acheteur supporte les risques de perte de la chose
par cas fortuit ou force majeure, dès la rencontre des consentements,
avant même d'avoir reçu la chose achetée. L'acheteur espagnol ne les
supporte pas tant qu'il n'a rien reçu, l'article 1095 du code civil
espagnol disposant qu'il "n'acquerra pas de droit réel sur elle (la
chose) tant qu'elle ne lui aura pas été remise", en sorte que le
vendeur, qui en demeure propriétaire jusque là, en supportera les
risques. Ce principe est tempéré par l'article 333 du code de commerce
afin de pallier les inconvénients dus à ce que la remise est un acte qui
ne dépend pas du seul vendeur. Ce texte, par exception au principe de
l'article 331, transfère les risques à l'acheteur dès que la chose a été
mise à sa disposition dans les conditions du contrat et donc, à un
moment auquel il n'en est pas encore propriétaire. L'article 334 fait
encore une exception lorsqu'il s'agit de choses de genre. En revanche,
l'acheteur peut toujours prétendre aux fruits de la chose vendue dès
l'échange des consentements.
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En ce qui concerne les obligations du vendeur, on relèvera, pour la
délivrance, qu'elle se fait par la simple mise de la chose à disposition
de l'acheteur (art. 1462 c. civ. et 339 c. com.), un délai de 24 heures
étant prévu par l'article 337 du code de commerce, là où le droit
français fixe le moment de la délivrance à la formation du contrat. Le
vendeur n'est pas tenu de livrer à défaut de paiement (art. 1466 c.
civ.) ou s'il découvre l'insolvabilité de l'acheteur (art. 1467 c.
civ.). En cas de défaut de conformité, lorsque la marchandise est
emballée, les protestations doivent intervenir dans les quatre jours et
l'action introduite dans les six mois, étant rappelé que la prescription
n'étant pas réglée par la convention de Vienne, c'est au droit interne
qu'il faudra s'en référer. Il en est différemment s'il ne s'agit pas
d'un défaut de conformité, mais d'un vice de la chose. Si le vice est
apparent, il n'est pas garanti. Il ne l'est pas davantage s'il est caché
lorsque l'acheteur est un expert qui en raison de sa profession aurait
dû facilement le connaître. La jurisprudence française retient également
cette solution, mais en Espagne, elle est inscrite dans la loi
elle-même (art. 1484 c. civ.). Dans les autres cas, la réclamation doit,
à peine de forclusion, intervenir dans les 30 jours de la livraison
(art. 342 c. com.) alors que le droit français fait seulement état d'un
délai raisonnable.
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En ce qui concerne les obligations de l'acheteur, celle de payer le
prix s'exécute, à défaut de clause, au moment et au lieu de la
livraison, l'article 340 du code de commerce reconnaissant le privilège
du vendeur sur les marchandises vendues encore en sa possession même au
titre d'un dépôt.
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On notera enfin que la clause de réserve de propriété (question qui
relève encore par subsidiarité du seul droit interne) est admise par la
jurisprudence espagnole depuis 1911, mais qu'il convient de l'inscrire
au registre du commerce (Registro mercantil). En toute hypothèse, le
droit espagnol des procédures collectives, même en l'absence de clause,
se montre plus favorable au vendeur que le droit français.
Conclusion :
Malgré
l'existence de rares lois uniformes, parmi lesquelles la convention de
Vienne sur la vente internationale de marchandises applicable aux ventes
franco-espagnoles postérieures au 1er août 1991, le droit international
privé, pour aussi complexe qu'il puisse être, et occuperait-il la
meilleure part d'un débat judiciaire, ne fait jamais que régler le
problème de la frontière. Il laisse ensuite le procès, en définitive, à
son point initial. Et bien souvent, pour le conduire à son terme, c'est
alors de la connaissance d'un droit étranger qu'il faudra disposer, soit
qu'il soit désigné comme seule loi du contrat, soit que la loi uniforme
lui abandonne la question en litige.
NDLR
: Ce conseil a été l'objet d'une intervention dans le cadre du DESS
Langues et Commerce International option marchés anglo-saxons, ibériques
et latino-américains de l'Université de Cergy-Pontoise.